Lettre à «Ma belle énergie»

Par Emmanuelle Ryser

Après avoir écrit à une partie de moi-même, je me retrouve auteure de ma vie. Une expérience narrative en diable pour moi qui me forme actuellement à La Fabrique.

Quand le confinement est arrivé, je me suis cassé la figure. Plus de jobs, plus de revenus, l’anxiété m’a envahie, je suis tombée de haut et j’ai sombré. Puis… puis je suis remontée. Grâce à l’écriture, qui est à la fois mon métier et mon refuge, et motivée par « Porte-plume », une émission de radio quotidienne sur RTS, la première qui existe depuis que nous vivons chacun-e chez soi. Le principe en est simple : écrire une lettre, à qui l’on veut, qui sera lue par un-e comédien-ne et nous permettra de nous sentir en lien. J’ai pris ma plume (en l’occurrence mon clavier) et ai écrit une lettre à « Ma belle énergie », lui demandant de revenir.

Cette lettre a été lue à l’antenne[1] :quelle puissance d’entendre mon propre récit ! De plus, elle est bien parvenueà sa destinataire. S’il en fallait une, voici deux preuves : 1. Ma belleénergie revient, au petit trot et non au grand galop, mais nous avons ainsi moinsde risque de trébucher, toutes les deux. 2. Mon énergie m’a répondu : sonmail art rose fuchsia m’a valu une magnifique discussion avec le facteur Victor,au sujet de l’énergie, la motivation et la bonne humeur (et aussi sur ma foliede l’art timbré qui le fait bien rigoler). Voici donc ma lettre et une image desa réponse. Elle a été plus créative que moi, utilisant l’écriture manuscritequi m’est chère.

Lausanne, le 5 mai2020

Ma belle énergie,

Je t’écris pour tedemander de revenir.

Tu m’as quittée il y abientôt deux mois. Quarante-neuf jours ou sept semaines, exactement. Au début,je comptais en jours, me disant que tu allais vite réapparaître, puis je mesuis rendue à l’évidence : tu étais partie pour de bon. Je me suis mise àcompter en semaines. S’il te plaît, reviens avant que je n’aligne lesmois !

Nous formions uncouple uni, toi et moi. Fusionnel, même. Certains, d’ailleurs, nousconsidéraient comme une et unique : Emmanuelle et sa belle énergie neformaient qu’une et même personne. Je savais bien que j’étais moi grâce à toi,mais certains jours, j’oubliais de te remercier, de t’honorer. C’est assezconvenu, comme histoire : c’est maintenant que tu es partie que je réalisecombien tu étais importante. Vitale.

Je me levais avec lesourire. J’étais joyeuse, j’aimais la vie, mon homme, ma famille et mon métier.Tu n’as jamais été ni radine ni jalouse. Je pouvais étendre tes bienfaits àceux que j’aime et à ce que j’aime. A celles avec qui je travaille, à cellesque je fais écrire, aux amies, aux voisins, aux simples passants ou passagersdu bus. Je souriais à la vie et la vie me souriait. Souvent, on me remerciaitde mon énergie communicative et je prenais le compliment pour moi.

Depuis l’arrivée ducorona et de cet état de nécessité dans lequel nous vivons, tu as disparu sanslaisser d’adresse. J’ai eu peur, d’abord, que tu aies attrapé le virus, maisj’en aurais été informée. Je me suis dit ensuite que tu avais besoin de t’aérerpour te ressourcer et je t’ai laissé faire. J’ai annulé mes stages et mesateliers, je me suis confinée et j’ai regardé ma petite entreprise s’effondrer.Se casser la figure en beauté. En la regardant, je me disais que, si tu étais àmes côtés, la situation serait plus légère à supporter. J’en ai vite eu assezde t’attendre et je me suis mise à t’implorer, à te supplier. Tu peux êtrefière : jamais une relation amoureuse ne m’a mise dans un tel état. Jeressemble à Jacques Brel et suis devenue l’ombre de ton ombre…

Sais-tu d’ailleurspourquoi tu m’as quittée ? J’ai eu le temps d’y réfléchir, vois-tu, enquarante-neuf jours, ou sept semaines, bientôt deux mois. Je croyais que tum’aimais simplement, pour moi. Pas du tout. Ce que tu aimais en moi, c’étaitmon métier fait sur mesure. Je croyais me l’être taillé pour moi seule, medéfinissant crânement en « indépendante de l’écriture », mais non,c’était aussi pour et grâce à toi, ma belle énergie. Ensemble, nous avons crééE comme Ecriture. Nous avons organisé des stages de carnet de voyage. Planifiédes soirées de collage ou de mail art. Recueilli des récits de vie. Multipliéles projets et les idées, les rencontres et les histoires. Animé des centainesd’ateliers d’écriture. Finalement, tu te nourrissais de mon métier, alors queje croyais que c’était toi qui le nourrissais. Aussi, quand mon métier a dûs’arrêter, tu m’as quittée. Double peine. Je me retrouve sans job et sansénergie.

Tu sais, le roman quenous avons écrit ensemble va paraître au mois de juin. Ce serait ingrat de mapart de faire sa promotion sans toi. Peut-être ne te l’ai-je pas dit assezclairement, mais aujourd’hui je te le hurle : MERCI ! C’est grâce àtoi que j’écris, grâce à toi que je vis. Je t’en prie, reviens, ma belleénergie, je t’attends !

Emmanuelle Ryser

PS : Merci dem’avoir donné la force d’écrire cette lettre. Il faut croire que la situationn’est pas si désespérée. Tu es loin de moi, mais veille sur moi. »

[1] Il est possible de lapodcaster : www.rts.ch émission Porte-plume / 08.05.2020

Précédent
Précédent

Michael White et Steve de Shazer : nouvelles orientations de la thérapie familiale

Suivant
Suivant

Une histoire des pratiques narratives collectives