Le sens des mots

Par Catherine Mengelle

L’autre jour, j’animais avec Fabrice une journée découverte des Pratiques Narratives.Quand nous présentons les idées narratives, les personnes se raccrochent à ce qu’elles connaissent et font des liens avec d’autres approches. Parfois, ces liens me paraissent réels, d’autres fois beaucoup moins. Or si elles dépensent des sous pour s’informer ou se former à des idées nouvelles, ce n’est pas pour que nous les brossions dans le sens du poil. Je suis donc attentive à ces liens et cherche toujours à en vérifier le bien fondé. C’est ainsi qu’une participante a pensé « recadrage » lorsque nous parlions de l’histoire alternative, faisant référence à des choses déjà connues d’elle. Ce mot m’a heurté, je ne le trouvais pas juste. Je me suis retrouvée à recadrer (pour le coup) une collègue et je n’ai pas aimé le faire. Depuis, j’ai réfléchi à ma réaction, je me suis demandée pourquoi ce terme « recadrage » ne me convenait pas. Bien entendu, cela va bien au-delà de la seule posture narrative.

J’imagine que le terme provient du métier de cadreur en cinéma, soit celui qui est responsable du cadre que sa caméra choisit de filmer. Peut-être alors que « recadrer » pourrait signifier placer la caméra autrement, l’approcher, l’éloigner, changer l’angle de vue. Mais dans ce cas, je ne suis pas sûre que ce soit le bon terme. Il s’agit de « déplacer » la caméra, donc de « décadrer », pas de « recadrer ». « Recadrer » me parait signifier qu’il y a un cadre, qui a été perdu ou jamais atteint. Il faudrait donc « recadrer ». J’ai l’impression que toute notre vie est réglée par les cadres et les recadrages, les dressages et les redressages, en fonction de modèles normatifs de ce que nous devrions être, comme lorsque les gauchers étaient contraints à utiliser leur main droite. Cet usage n’a plus cours aujourd’hui mais ce genre de contrainte normative est toutefois omniprésente dans toutes les sociétés humaines.

Or les normes ne conviennent à tous, notamment à la majorité des personnes qui me consultent. Il y a dans « recadrer » quelque chose qui me fait penser aux pénitenciers, aux orphelinats, aux hôpitaux psychiatriques, aux maisons de la charité, bref à tous les lieux d’enfermement et de morale contrainte, alors que nous parlons au contraire d’ouverture et de liberté, du droit à sortir du cadre et à ne pas y être ramené par la force ou par la douceur.

Mon analyse n’est surtout pas une critique du sens donné à ce mot dans d’autres pratiques, que je ne connais pas suffisamment et sans doute parfois proches de notre travail narratif, c’est seulement une tentative de mieux comprendre pourquoi ce mot a soulevé chez moi un tel élan de résistance. La question est comme toujours de s’accorder sur le sens, et dans le domaine de la psychologie contemporaine, riche d’un jargon plus ou moins bien traduit de l’anglais, je trouve que les mots français perdent leur sens commun.

Pour finir, le mot que je trouverais juste pour évoquer l’histoire alternative des Pratiques Narratives serait donc plutôt « décadrage ». Le Wiktionnaire propose trois significations pour décadrer : désencadrer une œuvre, arrêter de cadrer normalement son sujet (en photographie), et enfin faire sortir du cadre, décaler. Cela convient bien à l’idée de sortir du cadre contraint, de regarder les choses autrement, de trouver sa propre façon de poser la caméra sur le monde, en fonction de sa propre sensibilité, de ses propres talents, de ses propres engagements et valeurs, ses propres espoirs et intentions. Car il s’agit bien de trouver son « point de vue » et de prendre position pour soi-même.

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