Récits d'émigrées, une autre histoire possible

Pour en finir avec les discours dominants.

Par Marianne Bèque.

Ce recueil de témoignages est le récit de 8 femmes qui se racontent, livrant pensées, questionnements, victoires et espoirs pour leur vie en France.
Elles sont venues d'horizons divers : Algérie, Italie, Haïti, Comores, Afghanistan, Kurdistan irakien, Irak, Côte d'Ivoire.
En leur demandant de raconter leur parcours de vie, mon propos était de déconstruire toutes ces histoires dominantes sur l'immigration, histoires qu'on nous assène à longueur de temps et qui deviennent des vérités à force d'être répétées, en occultant toutes les autres histoires de vie possibles. Il m'est apparu rapidement que mon indignation face à ces contre-vérités ne pouvait se rendre lisible que si je partais de récits positifs, porteurs d'espoir et de sens.

 

Mon objectif était de faire du journalisme narratif en m'inspirant des Pratiques Narratives, approche à laquelle je me suis formée (en 2018 à Lyon avec Catherine Vérilhac et Muriel Blouin). Écouter, puis tisser pour faire du lien entre fait et identité, documenter en reprenant leurs paroles telles quelles, me mettre en situation de témoin extérieur en commentant et exprimant mon admiration pour elles. J'ai voulu faire du journalisme de paix qui soit vecteur de lien social.

Pour les premiers entretiens, J'ai repris à mon compte la phrase de David Epston : "Plutôt que de continuer d'écrire sur nos patients, nous devrions écrire avec eux". J'avais compris qu'il était bien plus intéressant de laisser raconter ces femmes sur ce qui était important pour elles que de leur poser des questions, qui ne correspondraient pas forcément à leurs préoccupations. Les entretiens suivants m'ont permis ensuite de "tisser" sur leur identité c'est-à-dire aller interroger leurs valeurs, ce qui résonnaient en elles dans leur histoire et ce que ça voulait dire de ce qui était important pour elles. Ces rencontres m'obligeaient à adopter une posture "plus active" en questionnant ce qu'elles m'avaient dit. Je reprenais leurs propos, ce qui m'avaient interpellé et je les interrogeais sur ce que ça voulait dire pour elles.
Je voulais, ainsi par la reconnaissance que je donne à leur parole donner à voir qui elles sont, mettre en lumière ce qui les habite, rendre hommage à leur courage et à leur détermination…

J'ai ensuite voulu faire appel à un témoin extérieur. Pour trois d'entre elles, j'ai demandé à des professionnelles qui travaillent avec ces populations de se placer comme telle. A chacune des professionnelle, j'ai lu le récit d'une des femmes et lui ai demandé de répondre aux questions du témoin, en reprenant la carte de Michael White. Puis, j'ai lu ces réponses aux femmes concernées et je les ai, à leur tour, interroger selon la carte du témoin extérieur.

A la fin de mon travail, je les ai réunies pour une sorte de Cérémonie Définitionnelle. Là encore, j'ai emprunté cette pratique à l'Approche Narrative. La Cérémonie Définitionnelle a été pensée par Barbara Myerhoff, comme un rituel de revalorisation du récit de vie des personnes devant d'autres. Je les ai donc réunies un samedi soir pour un dîner à la maison avec l'idée principale qu'elles se rencontrent pour nouer des liens entre elles, se sentir peut-être moins seules et se reconnaître dans les histoires des autres. Ce fut un moment mémorable, qui a permis à certaines de confier des événements importants de leur vie.

Les Pratiques Narratives ont été fondatrices pour moi, notamment dans ma façon d'écrire et d'appréhender mon travail. Ces entretiens avec ces femmes m'ont permis d'inventer ma posture de journaliste narrative.

Récits d'émigrées, une autre histoire possible – Marianne Bèque
Éditions l'Harmattan, 183p. 20 euros
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