"Faire le pas" en 2021

Par Catherine Mengelle

Toute l'équipe de la Fabrique Narrative vous présente ses meilleurs vœux pour 2021, et pour commencer l'année en beauté, voici une très courte et très jolie conversation de 10 minutes qui s’est tenue lors d’une journée découverte des Pratiques Narratives, entre une participante volontaire et moi.

Elle a accepté que cette conversation soit utilisée à des fins pédagogiques et je l’en remercie beaucoup. On trouve dans cette conversation :

  • La négociation du nom du problème : sentiment d’illégitimité ? Morte de trouille ? Ne pas arriver à faire le pas ?

  • La suite de la carte de prise de position (la fameuse JEEP de Fabrice : Problème, Effet, Évaluation, Justification) à partir d’un effet du problème : la paralysie, avec une prise de position très forte suivie d’une explication non moins forte.

  • Un tout petit travail d’enquête sur la vie du problème, qui l’externalise et permet de le territorialiser dans le temps (« depuis que je veux ce titre de coach »).Pour poursuivre cette conversation narrative, j’aurais eu le choix entre plusieurs pistes. Voici celles que j’aurais aimé suivre si la conversation avait duré plus longtemps :

  • Rechercher la « why experience », c’est à dire une expérience concrète sur le paysage de l'action, qui illustrerait la déclaration : « je ne supporte pas l’idée qu’on puisse m’empêcher d’effectuer quoi que ce soit », puis continuer de tisser la trame d’une identité alternative préférée à « je n’arrive pas à faire le pas ».

    1. Ou aller vers le paysage de la relation en lui demandant si elle pense à quelqu'un qui ne serait pas étonnée de l’entendre dire : « je ne supporte pas l’idée qu’on puisse m’empêcher d’effectuer quoi que ce soit », puis continuer de tisser la trame d’une identité préférée alternative à « je n’arrive pas à faire le pas ».

    2. Ou m’intéresser à l’absent mais implicite du « c’est ridicule » final (qu’est-ce que ce « c’est ridicule » indique de ce que tu penses du fait de te sentir bloquée depuis que tu veux ce titre de coach ? Et pourquoi penses-tu de la sorte ?) : donc interroger cette nouvelle prise de position, arrivée toute seule dans la conversation, et l’utiliser pour enrichir le paysage identitaire de nouveaux éléments.

    3. Ou, en restant sur ce « c’est ridicule », continuer l’externalisation du problème « ne pas arriver à faire le pas » en le resituant dans le contexte élargi, économique et culturel, de notre société, dont le discours dominant exige que toute expertise soit validée par un diplôme pour être effectivement reconnue comme une « vraie » expertise et déconstruire ensemble ce discours.

Après l’exercice, nous lui avons rapidement demandé ce qu’elle en pensait et il m’a semblé que c’était cette dernière piste qui l’intéressait tout particulièrement, dans un premier temps en tout cas. Le travail de re-authoring identitaire (le tissage) viendrait ensuite de toutes les façons, l’idée étant de co-écrire un récit sur elle multi-ressources et capable de challenger l’histoire « je n’arrive pas à faire le pas ».

Déconstruire le discours du titre de coach n’aurait pas comme objectif de la faire renoncer à ce titre (mais pourquoi pas après tout). Non, au contraire, déconstruire ce discours pourrait lui permettre de prendre le recul nécessaire pour s’enlever une pression «ridicule», si j’en crois ses mots, vis à vis de ce titre, qui, dans son contexte, revêt sans doute une réelle importance pour la réussite du projet.

Ce n’est pas une question de légitimité car elle se sent légitime et en donne des preuves (fine trace relevée par le groupe). C’est la nécessité de valider un titre de coach qui « la bloque » et qui vient titiller, écorner, sa légitimité. C’est comme si ça déplaisait fortement au problème qu’elle puisse avoir l’audace de se croire légitime ! La légitimité fait donc partie du récit alternatif préféré, c’est une ressource.

Mais trêve de commentaires, voici la conversation :

- Je te remercie d’avoir accepté d’être interviewée devant tout le monde pour cet exercice narratif. Nous avons 10 minutes toutes les deux, pas plus, puis nous laisserons le groupe présenter les fines traces qu’ils auront identifiées dans notre échange. Ça te va ?

- Oui.

- Bon, de quoi souhaiterais-tu parler ?

- Voilà, j’ai toujours été salariée dans la fonction publique, avec la sécurité qui va avec. Je prépare aujourd’hui le projet de m’installer avec un statut libéral pour exercer le métier de coach. Je suis morte de trouille. Je n’arrive pas à faire le pas. Ce n’est pas une question de légitimité : je vise les collectivités territoriales que je connais très bien, forte d’une importante expérience managériale. J’ai démarré comme assistante sociale, donc j’ai été formée à l’accompagnement et j’y ai été confrontée.

- OK, dans ce cas, comment préfères-tu que nous parlions du problème, morte de trouille ou ne pas arriver à faire le pas ou autrement ?

- Ne pas arriver à faire le pas.

- Ok, quelles sont les intentions de ne pas arriver à faire le pas dans ta vie aujourd’hui ?- Il n’y a pas de risque pourtant…

- Peut-être que non mais alors, qu’est-ce que le problème voudrait pour ta vie, à ton avis ?

- Il veut peut-être m’éviter l’échec…

- Ah, mais en t’évitant l’échec, il t’évite aussi la réussite évidemment… Qu’est-ce qu’il a comme effet chez toi ?

- Il me paralyse.

- Et que penses-tu du fait qu’il te paralyse ?

- (avec force) Ça me gonfle !!!

- Oh, ça te gonfle… J’aimerais bien savoir comment ça se fait que cette paralysie te gonfle ?

- (sans hésiter et avec force) Mais parce que je ne supporte pas l’idée qu’on puisse m’empêcher d’effectuer quoi que ce soit !

- Laisse-moi le temps de noter ça… Ok, est-ce que ne pas arriver à faire le pas aurait des alliés, tu crois ?

- Oui, il a un bon ami : tu n’as pas les compétences… Pourtant je sais bien que j’ai les compétences : quand je mène des entretiens individuels dans mon travail, je le fais bien, j’y prends plaisir. C’est depuis que je veux ce titre de coach que je me bloque... C’est ridicule !

- Ah… c’est depuis que tu veux ce titre de coach que tu te bloques… Nos 10 minutes sont maintenant écoulées. Comment est-ce que tu te sens ? Est-ce qu’on peut s’arrêter là ? Es-tu d’accord pour écouter les pistes de fines traces que le groupe a identifiées ?

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